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Coupe du monde de rugby : l'Afrique du Sud, modèle d'adaptation aux portes d'un quatrième sacre historique

L'équipe dirigée par Johan Erasmus et Jacques Nienaber a remporté ses deux matchs à élimination directe grâce à ses remplaçants et pour un petit point. Et c'est loin d'être un hasard.

Quelque part au milieu de l'ennui, entre les bourrasques et le crachin, Willie Le Roux a illuminé à sa manière la pâle demi-finale Angleterre-Afrique du Sud (15-16), samedi 21 octobre. A la 73e minute, sur un arrêt de volée anodin comme on en a vu mille autres, l'arrière n'a pas choisi de dégager son camp. Le chronomètre défilait, les Sud-Africains étaient menés mais, harangué par ses avants, Le Roux a demandé une mêlée. L'audace aurait de quoi faire bondir n'importe quel entraîneur. Mais pas le tandem Johan 'Rassie' Erasmus-Jacques Nienaber, justement à l'origine du coup de Trafalgar.

Celui-ci s'est avéré gagnant : la première ligne remplaçante des Sud-Africains a enfoncé le pack adverse. Marqués mentalement et lessivés physiquement, les avants anglais ont flanché sur une nouvelle mêlée quatre minutes plus tard, offrant la pénalité de la gagne à Handré Pollard (78e). À 50 mètres, l'ouvreur a exécuté la sentence et qualifié les siens pour la finale contre la Nouvelle-Zélande, samedi 28 octobre à 21 heures.

Ce coup de folie apparent, en fait minutieusement préparé, résume à merveille la philosophie du duo de têtes pensantes des Boks. On ne sait pas vraiment qui de Rassie Erasmus, ex-sélectionneur devenu directeur du rugby, ou de son successeur Jacques Nienaber, ancien entraîneur de la défense, a réellement le dernier mot, mais les choix s'avèrent toujours gagnants.

Les Boks font bloc

Au fil des expérimentations des deux savants fous, les statuts importent peu. "Il n’y a pas beaucoup de différences entre titulaires et remplaçants, on n’a pas d’équipe A ou d’équipe B", décryptait Jacques Nienaber après la demie. "Personne ne se plaint, chacun a son rôle à jouer, peu importe ce que c'est", confirme le demi de mêlée Cobus Reinach. Le Montpelliérain s'attendait-il à être confronté à cette réalité ? Propulsé titulaire en quart et en demie à la surprise générale, il vivra la finale en costume dans les tribunes. Il en va de même pour son compère de la charnière Manie Libbok, le duo Faf de Klerk-Handré Pollard reprenant ses droits d'entrée.

Mais dans le langage d'Erasmus et Nienaber, une mise à l'écart ne rime pas avec un déclassement. "Les absents le sont uniquement pour des raisons tactiques", a expliqué le sélectionneur, pour qui "les égo sont mis de côté". Là où l'écrasante majorité des staffs jouent la carte de la continuité avant une finale, le duo ne s'embarrasse pas avec ce genre de conventions. "C’est ce que j’aime dans le rugby, les gens essaient différentes tactiques", a commenté le sélectionneur néo-zélandais Ian Foster.

Dans une finale que l'on devine plutôt fermée, puisque la pluie devrait s'inviter, le tandem Eramsus-Nienaber a ressorti son fameux banc en "7-1" (sept avants, un arrière). "Il faut reconnaître que Rassie a du cran, ça revient un peu à jouer le tout pour le tout", observe Kieran Read, ancien capitaine des All Blacks.

Du neuf avec un seul 9

Utilisée pour la première fois en préparation... contre la Nouvelle-Zélande (35-7), cette répartition fantasque a été l'un des serpents de mer de ce Mondial. Rassie Erasmus s'en est même amusé sur X (ex-Twitter) avant le quart contre la France, laissant entendre que ses options allaient du 7-1 au 4-4. Pour cette finale, la prise de risque est encore plus grande, puisqu'aucun demi de mêlée se trouve sur le banc pour pallier un éventuel pépin de Faf de Klerk.

Si la composition du banc intrigue autant – et "prend des heures" à être décidée –, c'est que les Boks en ont fait une arme à la base de leurs succès. En quart comme en demie, l'Afrique du Sud s'en est tirée dans les dernières minutes, pour un point après avoir couru derrière le score. À six jours d'intervalle, cette concomitance n'est pas une simple coïncidence.

Les démineurs pour finir le travail

Chez les Springboks, "finisseur" se dit "bomb squad", littéralement "équipe de déminage". Il faut par exemple voir l'impact mis par le pilier gauche viandard Retshegofaditswe Nche (gracieusement surnommé "Ox" – "le bœuf" – et pour qui manger des salades "ne fait pas gagner de mêlée") ou le troisième ligne déménageur Kwagga Smith pour s'en persuader.

Contre l'Angleterre, cette gestion s'est par exemple traduite avec le changement d'ouvreur dès la 31e minute – le gestionnaire Handré Pollard collait mieux à ce match cadenassé que le fantasque Manie Libbok – ou par le remplacement précoce du capitaine Kolisi (51e). Et ce n'est évidemment pas un hasard si le seul essai du match a été inscrit par le remplaçant RG Snyman (69e). "Le plus important, c'est de bien finir", a traduit l'entraîneur de la mêlée Daan Human. Le tournant d'un match des Boks se situe souvent aux alentours de la 50e, lorsque les golgoths affamés pénètrent dans l'arène. Seule l'Irlande (13-8 le 24 septembre) a su les contenir.

"Fondamentalement, tout repose sur le fait qu’on est une équipe soudée, a décrit Pieter-Steph du Toit. On ne laisse rien nous diviser." Et le troisième ligne de phosphorer : "On s’est mis dans une situation difficile, mais on a aussi appris comment s’en sortir". Ces Boks ont en effet un immense vécu commun, puisque 10 des 23 finalistes du soir se trouvaient déjà dans le groupe en 2015 et 14 ont disputé la finale en 2019. 

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