Émeutes : Le spectre de 2005
C dans l'air- 1 h 6 min
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Une marche blanche a été organisée cet après-midi à Nanterre à l'appel de la mère de Nahel, le jeune garçon de 17 ans, tué par le tir d’un policier, au volant d’une voiture avant-hier dans la ville. Une vidéo de la scène, dans laquelle on voit le brigadier tirer sur l'adolescent, a suscité beaucoup de colère, d’indignation et de débats. Lors des deux nuits qui ont suivi, et en particulier la nuit dernière, des émeutes ont éclaté dans plusieurs villes de France. Incendies, tirs de mortier, affrontements avec la police… Sur les réseaux sociaux, une surenchère de scènes filmées aux quatre coins de France. La violence est montée d’un cran en banlieue parisienne et bien au-delà. Des bus, tramways et véhicules ont brûlé, des commissariats et des mairies ont été ciblés, des bâtiments ont été incendiés, des commerces pillés, et la prison de Fresnes attaquée.
Une cellule interministérielle de crise a été convoquée ce matin place Beauvau par Emmanuel Macron qui a dénoncé "des scènes de violences" contre "les institutions et la République" "injustifiables". La Première ministre qui a annulé un déplacement en Vendée a également insisté sur le fait que "rien ne justifie les violences qui se sont produites cette nuit". "Ce sont des réactions qui attaquent la République. Mais ce n'est pas la République qui est en garde à vue, ce n'est pas la République qui a tué ce jeune homme. C'est un homme qui doit être jugé si la justice l'estime nécessaire" a également déclaré ce matin le porte-parole du gouvernement.
Peu après le procureur de la République de Nanterre a annoncé avoir requis le placement en détention provisoire du policier auteur du tir qui a causé la mort de l’adolescent. "En l'état des investigations, le parquet considère que les conditions légales d'usage de l'arme ne sont pas réunies", a précisé Pascal Prache lors d'une conférence de presse. Le fonctionnaire a été déféré devant deux magistrats à l'issue de sa garde à vue ce jeudi. Gérald Darmanin a de son côté demandé "au préfet de police de suspendre administrativement le policier".
Parallèlement les réactions politiques se multiplient. "La Justice avance. L'assassin reste sous son contrôle. La politique doit suivre. La loi "permis de tuer" de l'ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve doit être abrogée" a écrit Jean-Luc Mélenchon. La France Insoumise a indiqué avoir déposé dans ce sens une proposition de loi à l'Assemblée nationale afin de faire abroger la loi de 2017 encadrant l'utilisation des armes à feu par les policiers. Selon Mathilde Panot, "Depuis 2017, les tirs mortels sur des véhicules en mouvement ont été multipliés par 5. Ces meurtres doivent cesser", écrit-elle. Chez EELV, après la secrétaire nationale Marine Tondelier, Yannick Jadot a dénoncé lui aussi une "américanisation" de la police "au sens où les policiers peuvent se faire justice eux-mêmes". Evoquant une IGPN aujourd’hui "pas indépendante", Il a dit souhaiter "qu'elle ne relève plus du ministère de l'Intérieur".
De l’autre côté de l’échiquier politique, la nuit dernière émaillée de nombreux incidents contre des infrastructures publiques, inquiète la droite et l’extrême droite au point de réclamer l’état d’urgence. "Mairies et commissariats attaqués, destruction du mobilier urbain, vol de matériel aux forces de l’ordre, tramway incendié… C’est le bilan d’une nuit d’émeutes et de saccages qui coûteront des millions d’euros", a déploré dans un communiqué le président du parti Les Républicains, Eric Ciotti."Je demande le déclenchement sans délai de l’état d’urgence partout où des incendies ont éclaté", a-t-il ajouté. Eric Zemmour, à l’unisson, a également réclamé "la mise en place de l’état d’urgence dès ce soir", dans un tweet publié ce jeudi matin.
L’état d’urgence est un régime d’exception controversé qui doit être déclaré par décret pris en Conseil des ministres. Il résulte d’une loi votée en 1955, au commencement de la guerre d’Algérie. Il possède une durée initiale de douze jours, mais peut être prolongé par une loi votée au Parlement. L’objectif étant de renforcer les pouvoirs des autorités civiles tout en restreignant certaines libertés publiques ou individuelles. Du fait de la nature exceptionnelle de l’état d’urgence, il n’a été déclaré que peu de fois depuis 1955 : trois fois pendant la guerre d’Algérie, une fois en 1984 lors des événements en Nouvelle-Calédonie, lors des révoltes de 2005 après la mort de Zyed et Bouna, et en 2015, après les attentats terroristes à Paris et Saint-Denis. La dernière fois que l’état d’urgence a été déclaré, il était sanitaire, lors de la pandémie de Covid-19.
Pour le moment le gouvernement a décidé de ne pas déclencher l'état d'urgence mais il mobilise 40.000 membres des forces de l'ordre cette nuit. Elisabeth Borne a également appelé à "éviter toute escalade" dans les violences.
Nos invités :
- Damien Delseny, rédacteur en chef adjoint en charge du service police-justice - "Le Parisien"
- Nathalie Saint-Cricq, Éditorialiste politique - France Télévisions
- Vanessa Schneider, grand reporter - "Le Monde"
- Fabien Jobard, Sociologue spécialisé sur les questions de police et de justice - CNRS, auteur de "Politiques du désordre"
Présenté par : Caroline Roux, Axel de Tarlé
Maison de production : France Télévisions / Maximal Productions