Le réchauffement climatique concerne tout le monde, mais on est pas tous affectés de la même manière par ses conséquences (comme par exemple la pollution de l’air, des sols ou de l’eau). Certains y sont plus exposés que d’autres et c’est le cas des personnes racisées. C’est toute la question derrière l’expression "racisme environnemental".
Le racisme environnemental, ça vient d’où ?
La notion a émergé dans les années 80 grâce au mouvement des droits civiques aux États-Unis. Pour rappel, c’est le mouvement qui se battait pour que les Afro-Américains accèdent aux droits garantis par la Déclaration d'Indépendance et la Constitution des États-Unis, au même titre que les personnes blanches.
L’idée derrière le racisme environnemental est de dire qu’il existe des injustices environnementales qui touchent beaucoup plus les populations les plus pauvres et les minorités raciales.
Le premier à en avoir parlé est Benjamin Franklin Chavis Jr., un activiste qui a dirigé une manifestation dans le comté de Warren, en Caroline du Nord, pour empêcher l'État de mettre une décharge de déchets toxiques dans la région où les habitants étaient pour la plupart noirs.
"J'ai commencé à recevoir des appels de tout le pays après cela de la part de gens qui me disaient que la situation dans le comté de Warren n'était pas exceptionnelle", racontait-il au New York Times dans les années 90.
En 1987, la commission "égalité raciale" de la United Church of Christ (une église chrétienne où il travaille) publie une étude qui montre comment les communautés noires ou hispaniques ont plus de chance de vivre près d’un ou plusieurs sites de déchets toxiques.
Plus récemment, d’autres exemples ont montré que les personnes noires étaient toujours exposées à ces risques : à Flynt, l’une des villes les plus pauvres des États-Unis, la population en grande majorité afro-américaine a dû faire face en 2014 à une contamination de l’eau au plomb. Le taux était jusqu’à 30 fois supérieur au taux maximum.
À New York, le chercheur Carlos E. Restrepo a démontré que les habitants des quartiers dans le sud du Bronx, un quartier à majorité hispanique, sont très susceptibles de contracter de l'asthmecar "la qualité de l’air est très mauvaise à cause de la proximité des logements avec les grands axes routiers".
Quelles discriminations en France ?
On a cité pas mal d’exemples aux États-Unis, mais ce phénomène existe aussi en France. Même si l’approche raciale est moins utilisée, parce qu’on a pas de statistiques reposant sur l'origine ethnique des personnes.
Les quartiers populaires plus exposés au changement climatique
En France, les quartiers populaires sont aussi super exposés à la pollution. Dans le département de la Seine-Saint-Denis, le plus pauvre de France, situé près des autoroutes urbaines, la pollution détériore les conditions de vie des classes populaires et des personnes racisées qui y sont "surreprésentées pour des raisons historiques", selon Souba Manoharane-Brunel, fondatrice du collectif les Impactrices.
"De nombreuses usines y étaient installées pendant la révolution industrielle. C’est pourquoi les premières vagues migratoires notamment avec les ouvriers espagnols, portugais, italiens, s’y installèrent par la suite. Au XXe siècle, une nouvelle vague de migrations postcoloniale des pays africains et asiatiques par exemple sont venues s’y installer."
Les nuisances sonores et la pollution liée au trafic dégradent les conditions de vie des personnes vivant dans les quartiers à côté. Le taux d’asthme est plus important chez les habitants près des grands axes routiers (comme c’est le cas à New-York).
Les quartiers populaires sont aussi super exposés au changement climatique, à cause de leur vulnérabilité aux vagues de chaleur extrême.
Pendant la canicule de 2003, la Seine-Saint-Denis a été le 2e département français le plus touché. Le département a connu un taux de surmortalité de 160% pendant cette canicule de 2003.
Ces quartiers ne sont pas forcément les quartiers les plus exposés aux îlots de chaleur, qui sont plutôt en centre ville, mais les gens qui y vivent ont moins de moyens d’échapper aux fortes chaleurs pour plusieurs raisons : c’est plus compliqué d’isoler les logements, de partir en vacances ou encore de climatiser son logement.
Les gens du voyage concernés
C’est le cas également des gens du voyage, dont les aires pour les accueillir sont coincées dans des endroits insalubres. Selon une étude menée par William Acker, juriste et chercheur issu d’une communauté de Voyageurs qui a étudié 700 aires d’accueil en France, 62% d'entre elles sont situées dans des zones polluées.
L’anthropologue Lise Foisneau, qui a travaillé sur les inégalités environnementales dans les aires d’accueil, rapporte dans ses travaux que les aires sont souvent situées près d’usines.
C’est le cas de l’aire d’accueil à Saint-Menet, à Marseille, située au pied d’une usine Seveso, mais aussi de l’aire située à 500 mètres de l'usine Seveso Lubrizol où vivent 25 familles. Une partie de l’usine a brûlé en 2020 et les gens du voyage qui vivaient à côté n’ont pas été évacués et ont subi les vapeurs chimiques.
En Guadeloupe et Martinique, la pollution au chlordécone
En France, il y a eu aussi le scandale du chlordécone. Jusqu’en 1993, la France a autorisé aux Antilles l’utilisation de ce pesticide pourtant connu comme très toxique, ce qui a conduit à la pollution des sols et de l’eau. Tout ça a entraîné une contamination des aliments, des denrées animales et végétales et des produits issus de la mer.
Plusieurs rapports scientifiques montraient que le produit était très dangereux. En Guadeloupe et Martinique, 90% de la population est aujourd’hui contaminée au chlordécone, et le taux d’incidence du cancer de la prostate y est parmi les plus élevés de la planète.
Inégalités Nord-Sud : la question des déchets
Autre exemple de discrimination : "l'exportation de déchets des pays du Nord vers des pays du Sud, moins strictes sur les politiques environnementales", estime Carlos E. Restrepo. Le chercheur a expliqué que sur place, les communautés marginalisées n'ont pas les moyens socio-économiques et politiques de s'opposer aux grandes entreprises.
Le Ghana par exemple, est submergé par des vêtements usagés qui viennent de pays occidentaux. Ils sont notamment revendus à Kantamanto, dans le plus grand marché de la seconde-main au monde, basé à Accra (Ghana).
Au point que l’ONG Or Fondation dénonce un "waste colonialism" (littéralement : colonialisme des déchets). C'est l’utilisation des déchets et de la pollution par un groupe d’individus, pour dominer un autre groupe d’individus sur leur territoire. "L’industrie de la mode utilise le marché mondial des vêtements de seconde-main de facto comme stratégie de gestion de déchets", dénonce l’ONG.
En Asie, plusieurs pays ont longtemps souffert de la pollution des déchets plastiques envoyés par les pays du nord. "La France par exemple n’est pas capable de recycler tout le plastique consommé. Donc on les envoie sur les continents africain et asiatique", explique Souba Manoharane-Brunel.
En 2016, la moitié des déchets plastiques mondiaux destinés au recyclage étaient commercialisés à l'échelle internationale. La Chine importait alors 45% du total des déchets produits dans le monde depuis 1992. À partir de 1997, 70% des déchets plastiques mondiaux était destinée à la Chine. En 2018, le gouvernement chinois a décidé de stopper l’importation sur son territoire de déchets et c’est la Malaisie et l’Inde qui ont pris le relais.
Combattre ces inégalités environnementales : existe-t-il des solutions ?
Ces pays ont décidé de fermer progressivement une partie des usines de traitement des déchets. "Il y a de plus en plus de pays qui disent stop : ils constatent des dégâts dans leur propre pays, comme la pollution du sol et la contamination de l’eau qui provoquent des maladies", explique Souba Manoharane-Brunel.
En Malaisie, Yeo Bee Yin et deux autres ministres ont également fermé 30 usines qui importaient illégalement des déchets plastiques en 2019. La ministre de l'Environnement du pays a déclaré que le gouvernement malaisien prenait des mesures pour interdire de manière permanente les plastiques non-recyclables et autoriser seulement l'importation de plastique recyclable.
Pour combattre le racisme environnemental, plein de mouvements se sont créés dans le monde. En 2014, la Marche du peuple pour le climat à New York, en amont de la COP21, avait rassemblé des collectifs d’Afro-Américains, d’Hispaniques et de nations autochtones.
En France, des collectifs se créent pour dénoncer la question : comme les Impactrices qui organisent des événements et des formations pour parler d’écologie par le prisme de la justice sociale.