Déjà, qu'est-ce qu'une méga-bassine ?
Une méga-bassine (ou retenue de substitution) est un réservoir d'eau artificiel, doublé de plastique et imperméable, pouvant s'étendre sur plusieurs hectares. Certaines ont la taille de 10 terrains de football et peuvent contenir l'équivalent de 300 piscines olympiques.
Ces installations permettent aux agriculteurs d'irriguer leurs cultures pendant l'été, même en période de sécheresse. Ces bassins se remplissent en puisant directement l'eau dans les nappes phréatiques ou les cours d'eau pendant l'hiver (de novembre à mars).
Qui décide d'installer des méga-bassines ?
Les retenues de substitution font partie de la politique de stockage de l'eau de l'État. Sur le terrain, c'est le préfet qui prend les décisions : par exemple, c'est lui qui fixe le volume d'eau que la bassine sera autorisée à stocker chaque année.
Les arguments en faveur des méga-bassines
Dans son rapport sur la modélisation d'un projet dans les Deux-Sèvres, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) estime que pomper l'eau en hiver ne change pas grand-chose pour les nappes. Et ces retenues de substitution permettraient de moins prélever d'eau dans les cours d'eau/les nappes en plein été : les prélèvements dans la Sèvre Niortaise (le fleuve du coin) sont passés de 22 millions de m3 au début des années 2000 à 11,5 millions aujourd'hui.
Et si les retenues de substitution participaient à la transition écologique ? Dans les Deux-Sèvres, l'État et les agriculteurs ont passé un accord dans lequel, en échange de la construction de méga-bassines, les agriculteurs sont encouragés à planter plus de haies, installer des corridors écologiques, réduire l'usage de pesticides et passer à l'agriculture bio. "Cela conditionne l'accès à l'eau à un changement de l'agriculture : 'vous avez besoin d'eau, si vous voulez y avoir accès, il faut en contrepartie changer votre manière de cultiver'", explique Benoît Grimonprez, enseignant-chercheur en droit de l'agroécologie.
Aujourd'hui, pas mal d'exploitations agricoles dépendent de l'accessibilité en eau des méga-bassines. Interrogé par France Bleu, Gaël Goulevant, agriculteur à Saujon en Charente-Maritime, explique que l'irrigation permise par les bassines est "comme une assurance, celle d'obtenir un revenu, quoi qu'il arrive" pour ne pas se retrouver "complètement à la merci de la météo" et pouvoir "se projeter dans l'avenir".
Les arguments contre les méga-bassines
Ces retenues sont loin de faire l'unanimité. Deux types principaux de contre-arguments sont avancés : les raisons "techniques" et les raisons éthiques.
Les contre-arguments techniques
L'eau stockée en plein soleil s'évapore, surtout en été. L'eau de ces bassines perd également beaucoup en qualité lorsqu'elle est stockée à l'air libre : le soleil la chauffe, favorisant le développement de micro-organismes comme des cyanobactéries qui rejettent des toxines dans l'eau, explique Christian Amblard, hydrobiologiste honoraire au CNRS. Elle devient ensuite inutilisable pour arroser les cultures ou abreuver le bétail.
Ces bassins d'eau peu profonde sont également un terrain idéal pour des espèces exotiques envahissantes comme la renouée du Japon ou la jussie rampante, qui vont donc chasser les espèces qui sont déjà là. Ils bouleversent l'écosystème dans lequel ils sont installés.
Le niveau des nappes phréatiques est surveillé par le BRGM. Mais leur rapport sur les Deux-Sèvres est critiqué par certains scientifiques, comme l'hydrogéologue Florence Habets qui, interrogée par France Info, estime que ce rapport utilise comme référence un niveau de remplissage des nappes "fortement [dégradé]". Le problème étant que plus cette référence est basse, plus on va s'autoriser à pomper potentiellement trop d'eau dans la nappe qui ne sera donc plus en "bon état".
Est-ce qu'on va même réussir à trouver l'eau nécessaire pour remplir ces bassines ? Parce qu'avec les sécheresses de plus en plus fréquentes, les nappes contiennent moins d'eau, même en hiver. Cette situation risque de se produire de plus en plus souvent avec le changement climatique. Surtout qu'en pompant de l'eau dans le sol, on l'assèche encore plus. Ces méga-bassines risquent donc d'"aggraver les problèmes de sécheresse", pointe Christian Amblard.
Le fameux accord des Deux-Sèvres où les agriculteurs s'engagent, en échange de l'accès à l'eau de la méga-bassine, à prendre des engagements environnementaux, prévoit un "suivi annuel". Mais dans les faits, il n'est "pas très bien respecté" reconnaît Benoît Grimonprez, qui cite plutôt en exemple le protocole Clain mis en place dans la Vienne, qui impose par exemple aux agriculteurs de restaurer une partie des cours d'eau et de zones humides affectés par le projet.
Les contre-arguments éthiques
Finalement, une des grandes questions qui se posent est "quelle quantité d'eau faut-il prélever en hiver pour ne pas se retrouver sans eau l'été (et sans détruire les écosystèmes au passage)". Mais une partie de la population n'a justement plus confiance envers les politiques pour respecter ces règles, estime Benoît Grimonprez. "Et quelque part c'est légitime : certains préfets sont 'borderline' sur leurs décisions."
Ces retenues sont-elles vraiment une solution de long terme face au changement climatique ? Ou sont-elles un exemple de mauvaise adaptation ? Comme l'écrit l'hydrogéologue Magali Reghezza sur X : "On traite les symptômes (pénurie d'eau) au lieu de s'attaquer à l'origine du problème (déséquilibre entre les besoins et la disponibilité de la ressource) à ses racines (pratiques, usages, partage). Et on devient accroc au traitement de substitution."
En maintenant la possibilité d'utiliser de l'eau "comme avant", les méga-bassines peuvent aussi entraîner un effet rebond. Les agriculteurs consomment toujours autant d'eau, voire plus, parce qu'elle est disponible facilement.
Les méga-bassines existent déjà en Espagne, au Maroc, au Chili et aux États-Unis par exemple. Selon Benoît Grimonprez, quand on regarde ce qui se fait ailleurs, "tout miser sur les retenues n'est pas une bonne idée : le stockage n'est pas bien géré, les capacités du milieu à fournir de l'eau sont amoindries, bref ce n'est pas la solution miracle". Interrogée par le média Reporterre, Chloé Nicolas, géographe au Centre du climat et de la résilience qui a étudié la situation au Chili, explique que le stockage de l'eau dans (entre autres) des retenues d'eau a provoqué un accaparement de l'eau par quelques grandes exploitations agricoles au détriment des autres.
Comment mieux gérer la ressource en eau ?
Au niveau de la gestion de l'eau
En Europe, 80% de l'eau douce (celle que nous buvons, qui arrose les champs…) vient des cours d'eau et des nappes phréatiques. Le meilleur moyen de les préserver, c'est de limiter les sources de pollution (due aux engrais par exemple) et de lutter contre le changement climatique, qui va favoriser les sécheresses. Plus l'eau va devenir rare, plus ça risque d'être tendu au moment de se la partager. Il va donc falloir utiliser beaucoup moins d'eau et aussi la partager équitablement, pour que personne ne se retrouve lésé.
Plutôt que de continuer de confier cette tâche à l'État, qui n'est plus considéré comme légitime, Benoît Grimonprez propose de gérer l'eau de manière plus horizontale avec "plusieurs instances" où "toutes les parties prenantes (élus, citoyens, agriculteurs…) sont représentées", et de conditionner l'accès à l'eau au respect de plusieurs mesures pour faire évoluer l'agriculture vers des pratiques plus respectueuses de l'environnement.
Des solutions plus techniques
Selon Christian Amblard, pour s'adapter au mieux aux effets du changement climatique, il faut surtout améliorer les réserves d'eau naturelles (souterraines ou non), autrement dit moins artificialiser les sols, préserver les zones humides, améliorer la qualité des sols et, dans les cultures, faciliter l'infiltration de l'eau dans le sol. En résumé, respecter ce que conseillent les agences de l'eau depuis plusieurs années.
Ne pas laisser le sol nu en hiver aide à limiter l'érosion et le lessivage des sols. L'idée c'est de retrouver des sols vivants avec une faune souterraine pour qu'ils retrouvent leur perméabilité. Car perdre de la biodiversité signifie perdre des solutions pour mieux s'adapter au réchauffement climatique.
Les projets en cours ont été décidés il y a des années (le temps que des études soient faites, qu'il y ait des recours…). Ils sont donc un peu datés. "Si on les concevait aujourd'hui, on ferait sans doute différemment, par exemple avec un système souterrain", reconnaît Benoît Grimonprez.