L’empreinte carbone du spectacle vivant
Difficile de donner un seul chiffre, tant le spectacle vivant regroupe des situations et disciplines différentes. Certains festivals, comme We Love Green, et certaines structures comme l’opéra de Lyon calculent leur empreinte carbone, mais il n’existe pas de méthode universelle de référence pour le faire. Les chiffres varient en fonction de ce qui est pris en compte dans le calcul.
Le Shift Project a tout de même estimé en 2021 le bilan carbone de différents types de spectacles :
- un grand festival en périphérie (type Les Vieilles Charrues)
- un festival en centre-ville (type Avignon Off)
- une salle de spectacle "moyenne"
L’impact d’un grand festival en périphérie
Selon leurs calculs, un festival situé en périphérie des villes, et qui brasse environ 280 000 personnes, émettrait l’équivalent de 15 656 tonnes de CO2 pour 4 jours de festival. C’est l’équivalent de ce qu’émettent 1500 Français en moyenne pendant une année entière.
Le transport représente une grosse partie de cette pollution, surtout celui des festivaliers.
Les calculs du Shift rejoignent les conclusions du Syndicat des entreprises artistiques et culturelle, qui a publié fin 2022 un livre blanc sur le sujet : dans le secteur du spectacle vivant, le transport des personnes et du matériel représente environ 75% des émissions de gaz à effet de serre. Surtout les déplacements faits par les spectateurs : ils représentent à eux seuls 66% des émissions, principalement à cause de l’utilisation de la voiture.
Ce chiffre n'est qu'une estimation moyenne, il ne prend pas en compte les cas particuliers. Le festival parisien We Love Green par exemple n’a émis "que" 1700 tonnes de CO2 en 2022.
L’impact d’un grand festival en ville
Un festival urbain émettrait l’équivalent de 27 848 tonnes de CO2 pour un mois de festival, l’équivalent de ce qu’émettent 2700 Français en moyenne pendant une année entière.
En plus du transport des festivaliers, le transport des œuvres représente aussi un gros pôle d’émissions de gaz à effet de serre. Une partie d’entre elles sont transportées en avion depuis l’étranger, et "sur les 1500 compagnies du festival Off d’Avignon, 1100 viennent de Paris, Lille, Lyon… principalement par la route, en camions et voitures", détaille Samuel Valensi, auteur, metteur en scène et coordinateur du rapport du Shift Project.
L’impact d’une salle de spectacle
Une salle de spectacle émettrait entre 1200 tonnes (si elle est en centre-ville) et 1500 tonnes de CO2 (si elle est située en périphérie) chaque année.
Sur ce point, le Shift estime que le transport des œuvres est, là encore, la plus grosse source d’émissions de CO2, en particulier à cause du matériel transporté par les artistes en tournée dans différentes salles... bien que cela ne se vérifie pas forcément dans les chiffres donnés par les salles de spectacle.
Et les autres impacts ?
L’impact d’un événement sur l’environnement ne se mesure pas qu’aux émissions de gaz à effet de serre. La question des déchets est aussi essentielle : "Les déchets ont des conséquences sur la biodiversité, la bonne santé des sols, ce qui ne rentre pas trop dans les bilans carbone ", appuie Samuel Valensi. Le festival Avignon Off par exemple distribue chaque année 115 000 programmes imprimés (sur du papier recyclé).
Comment rendre le spectacle vivant plus écologique ?
Le Ministère de la culture va bientôt sortir un pacte d’engagement écologique. "Il constituera un cadre structurant et souple et guidera les artistes et professionnels dans la mise en place d'une démarche éco-responsable", révèle Frédérique Sarre, référente écologique et création artistique au ministère.
Diminuer la taille des événements culturels
Concernant les festivals de musique, les producteurs et tourneurs de musiques ont confié au Shift Project devoir en faire toujours plus car chaque année les festivals grandissent un peu plus. L’objectif principal est d’arrêter cette course au "toujours plus".
Adapter les transports
Au théâtre de la Monnaie, des débats sur le sujet ont été organisés avec le public. "Une des solutions trouvée par les spectateurs est d'adapter les horaires des spectacles à ceux des transports en commun", rapportent Sophie Lanoote et Nathalie Moine, autrices d’un livre blanc sur les solutions pour rendre le spectacle vivant plus écolo. Autres pistes : encourager le déplacement décarboné du public en mettant en place un parking à vélo devant les bâtiments de spectacle par exemple, rémunérer les temps de trajet des artistes et leur équipe en les poussant à prendre le train pour se déplacer, et demander un "devis carbone" aux transporteurs pour les inciter à proposer les modes de transport et d’emballage les moins impactants.
Changer la conso d’énergie
Un premier bon réflexe est de choisir un fournisseur d'électricité verte : pour un festival de la taille des Vieilles Charrues par exemple, se fournir en énergie à 100% avec de l’électricité issue du réseau EDF ou même d’un fournisseur d’électricité verte permettrait d’éviter l’équivalent de 55 tonnes de CO2, selon le Shift project.
La pollution numérique doit aussi être prise en compte. Le Shift recommande de diminuer la masse des données mise en ligne pour communiquer autour des spectacles, en évitant de diffuser des vidéos en 4K et en HD par exemple. Cela signifie aussi faire une croix sur la tentation d'un métavers où il serait possible d’assister en ligne des événements culturels comme des concerts. Le rappeur américain Travis Scott avait ainsi organisé en 2020 un concert sur Fortnite vu par 12,3 millions de joueurs selon Epic Games. "Est-ce qu’il est vraiment nécessaire, quand on voit combien ça consomme ?", s'interroge Nathalie Moine.
Miser sur des décors éco-conçus
Un des domaines où le milieu se mobilise de plus en plus, c’est celui de l’éco-conception des décors et des costumes et de l’économie circulaire. Des ressourceries spécialisées apparaissent comme celle du Théâtre de l’Aquarium à Paris. "C’est possible de continuer à rêver de grands décors, mais ça demande beaucoup de coordination, il faut que les tourneurs et les producteurs se parlent", juge Samuel Valensi.
Proposer une alimentation plus responsable
We Love Green a proposé une alimentation 100% végétarienne pour son édition 2023, ce qui a a permis de diviser son impact carbone par quatre.
Impliquer davantage les artistes dans le changement des pratiques
Les artistes sont encore très peu associés à ces changements. Et pour cause : "La décision de ralentir quand on est un artiste est difficile. Si vous êtes le premier à ralentir, vous avez perdu. C’est pour ça qu’il faut poser la question à l’échelle collective", résume Sophie Lanoote.
Mais certaines scènes comme We Love Green commencent à échanger avec eux sur ces sujets : "On accompagne et négocie avec des équipes artistiques pour essayer de changer leur mode de déplacement. Ce n’est pas facile. Mais en 2023, deux équipes artistiques qui devaient prendre l’avion sont venues en train à la place", se félicite Marianne Hocquard.
Changer la définition du succès
Certains artistes ont déjà franchi le pas, à l'instar du danseur et chorégraphe Jérôme Bel, un des premiers du spectacle vivant à s’engager sur la question écologique, en refusant notamment de prendre l’avion pour les tournées de ses spectacles. Cet engagement a fait baisser son empreinte carbone d’environ 99%. D’autres artistes s’impliquent aussi comme la pianiste Vanessa Wagner. Mais ils sont visés par quelques critiques, car "cette décision intervient après une carrière déjà bien remplie", explique Sophie Lanoote.
Pour elle, c’est toute la conception du succès qu’il faut revoir. "Est-ce que le succès, c’est de faire des grandes tournées internationales ? Beaucoup d’artistes disent que si cette idée-là évoluait, leur vie serait plus douce."